— Charlie, il faut que je te dise un truc… Pascali, le gars du Labo qui nous a fait rentrer, il s’est foutu en l’air ! Il s’est volontairement planté dans un arbre à pleine vitesse, le con… Mais il est encore vivant, dans le coma, apparemment. C’est un truc de fou…
— Il a dit quelque chose au
FBI ?
— J’en sais rien justement… Ce
que je sais, c’est que le mec qui enquête ici, Hooper, il a rappliqué
immédiatement dès le matin où on a appris l’accident. Ils ont scellé son
bureau… C’est plutôt bizarre, non ?
— C’est pas bon, ça…
— Non, c’est pas bon… Tu crois
qu’il aurait pu leur parler ?
— On n’est jamais sûr avec des
mecs comme ça… Et tu me dis qu’il est dans le coma ? Si jamais il ne leur avait
encore rien dit et si jamais il se réveillait…, tu sais ce qu’il faudrait faire
?...
— Oui, je sais. Je m’en
occuperai. Je vais d’abord aller vérifier à l’hosto son état exact
discrètement…
— Ouais, et tu me tiendras au
courant, hein. Putain ! Pourquoi ils auraient scellé son bureau si il n’avait
pas parlé ? Franchement, j’avais des gros doutes sur le gars quand tu l’avais
proposé… Un mec accro au jeu qu’on ne tient que par le fric… Il fallait se
méfier…
— Moi je crois pas qu’il ait
parlé. Je serais déjà cuit sinon…
— Peut-être… ou alors le FBI
est en train de te pister et attend le bon moment… C’est quoi ce bruit qu’on entend derrière toi
?
— Oh c’est rien, je suis dans
la cabine de la gare, y’a des travaux à côté… Je te rappelle qu’il n’y a que
deux cabines dans ce bled !
— Je sais que c’est pénible,
mais c’est notre seul moyen, tu sais bien qu’ils peuvent tout écouter les
sagouins…
— Je sais, je sais… Bon à part
surveiller si il se réveille, je fais quoi moi ?
— Est-ce que tu as revu la
fille avec le mec du FBI ?
— Non, pas depuis l’autre soir
au bar. Mais je garde un œil sur elle, t’inquiète pas.
— Au
fait, tu as mis la moto en lieu sûr là où je t’avais dit ?
—
Affirmatif, personne peut la trouver, je te rassure. Quand je pense que je me
suis tapé au moins dix kilomètres à pieds… Pourquoi tu voulais absolument la
garder, cette meule ?
— Je
préfère, c’est tout. Elle pourra encore servir. Bon et puis un peu de marche c’est
bon pour ta ligne, mon cher Georgi…
— Ouais
c’est ça. Et bien compte pas sur moi pour aller la rechercher là-bas à pieds,
tu m’y emmèneras si tu en as besoin !
— Tu es
retourné au Centre de l’Institut depuis l’autre jour ?
— Dès que
j’ai appris que le Pascali s’était planté ce matin, par mon canal spécial, j’y
suis allé discretos pour vérifier son bureau… Mais c’était fermé et je pouvais
pas défoncer la porte… Je me suis vite barré.
— La
porte de secours du sous-sol est toujours accessible ?
— Ouais,
c’est lui qui l’avait débloquée, tu sais…
— Bon, il
faudrait y retourner peut-être la nuit, c’est pas un scellé qui va nous faire
peur… En prenant des précautions, on craint rien.
— Tu
préfères que je le fasse ?
— Oui, si
tu peux ce soir. Occupe-toi d’abord du Pascali, moi je vais surveiller ce que
fait la fille avec le FBI.
— OK ça
marche….
Georgi Ganev
faisait partie de ces voyous qui préféraient travailler entre amis plutôt que
d’intégrer l’Organisation. Quand Viktor, alias Charlie, avait accepté de
participer à ce coup tordu plutôt bizarre, il avait essayé de réfléchir aux
risques qu’ils devraient prendre. C’était une opération particulière. Il avait
fallu s’infiltrer dans un laboratoire situé sous la montagne pour liquider un
type qui bossait là et lui dérober une clé USB… Georgi et Viktor agissaient uniquement
sur commande et se faisaient payer la moitié
à l’avance et l’autre moitié après. Cette fois-ci, Viktor avait tiré le
meilleur rôle, c’est lui qui avait emmené Georgi jusqu’à l’entrée du
laboratoire dans le tunnel puis était venu le rechercher à l’heure dite. Georgi
avait fait la sale besogne. Ç’avait était assez facile de trouver le moyen
d’entrer dans cet endroit sécurisé.
Le type
du labo avec la tête la plus patibulaire avait été facile à repérer et à suivre
jusqu’au tripot du coin. Il se ruinait au poker, et malgré ça il y retournait
toujours. Georgi n’avait pas eu trop de mal à lui prêter quelques centaines
d’euros pour commencer, puis de plus en plus, une technique de manipulation très
sommaire mais qui marchait toujours bien avec les gens accros au jeu.
Georgi
n’avait plus eu qu’à attendre un peu que ce soit Paolo Pascali qui vienne vers
lui pour lui demander une avance, et il avait juste fallu se faire un peu
désirer puis on était passé à la phase d’après, il acceptait de lui donner de
l’argent mais en échange d’un petit service. Une fois ce premier service rendu
et une somme confortable donnée, Pascali était mûr. Georgi était passé à leur
objectif principal : entrer discrètement au laboratoire souterrain. Pascali
leur avait fourni les renseignements sur le système d’accès, puis Viktor avait
fait faire rapidement le logiciel pas ses réseaux. Il ne restait plus qu’à
choisir la date adéquate.
Tout
s’était déroulé comme prévu, sans retard sur le planning prévu au départ par le
commanditaire.
***
Hooper
était retourné à l’hôpital en compagnie de Castelli et d’une jeune inspectrice
qui venait tout juste de rejoindre le commissariat de L’Aquila. Le neurologue
leur avait demandé de passer pour leur donner des précisions sur l’état de
Pascali. Les nouvelles n’étaient pas bonnes. Ils avaient croisé la femme de
Pascali en arrivant à l’étage et son visage montrait qu’elle venait sans doute
d’apprendre ce qu’ils allaient entendre de la bouche du spécialiste. Le
traumatisme crânien était si important que les fonctions cognitives du cerveau
étaient définitivement atteintes. En d’autres termes, le cerveau ne
fonctionnait plus. Il serait impossible d’espérer obtenir des informations de
lui par quelque moyen que ce soit. Il était en état de mort cérébrale.
Sur la
proposition de Hooper, la jeune inspectrice Alessandra Calzolari prit très vite
congé pour essayer de rattraper la femme de Pascali. Il fallait qu’ils en
apprennent plus sur la vie de Pascali. Ce n’était peut-être pas le meilleur
moment pour le faire mais le temps pressait.
Elle la
retrouva à son domicile venant juste d’arriver de l’hôpital. Elle était encore
sous le choc de l’annonce du chirurgien.
— Cela
fait deux ans que Paolo joue au poker… Il a dilapidé toutes nos économies, je
ne sais plus quoi faire… Des fois il rentrait à la maison super joyeux avec un
gros paquet d’argent, mais le plus souvent il faisait grise mine et je
comprenais qu’il avait encore perdu au jeu. J’ai essayé tellement de fois de
lui faire retrouver la raison mais rien n’y a fait... Il n’a jamais pu arrêter
de jouer.
— Est-ce
que vous connaissez les gens avec qui il jouait ?
— Non, il
ne m’en parlait pas. Je sais juste que c’était toujours à peu près les mêmes. Il
les appelait « les loustics ».
Une fois
qu’on se criait dessus, il m’avait même dit qu’au moins pendant qu’il jouait
aux cartes, il ne picolait pas… Vous voyez où on en est aujourd’hui… Je me
demande si je n’aurais pas préféré vivre avec un alcoolique…
— Ne
dites pas ça, Madame Pascali. Vivre avec un alcoolique est absolument terrible…
—
Savez-vous si votre mari a contracté des dettes auprès de certaines
personnes ?
— Je n’en
ai pas la moindre idée…
— Si
jamais vous êtes contactée par quelqu’un qui réclamerait de se faire rembourser
une dette, ne payez surtout pas et contactez-nous tout de suite,
d’accord ?
—
D’accord… Vous savez, il avait fait un contrat d’assurance-vie auprès de notre
banque… Je suis sûre qu’il a voulu en finir pour moi…
***
John
était rentré à Batavia pour quelques semaines. Cristina restait seule avec
Peter pour travailler sur le purificateur isotopique. D’autres membres de
XENO1000 étaient arrivés depuis quelques jours, deux physiciens allemands et un
ingénieur portugais, qui travaillaient sur le cryostat. Cristina était à
l’étage dans l’algeco en train d’analyser les résultats d’échantillons tests
dans lesquels ils avaient volontairement injecté du radon pour évaluer
l’efficacité de la purification par courant gazeux. Il était 19h15 quand
Cristina, en repensant à la liste qu’elle avait faite le matin pour savoir qui
avait voulu entrer dans le bureau de Pascali, eut comme une révélation.
— Le
courant d’air ! Pourquoi il y avait un courant d’air dans le couloir du
sous-sol ? La porte de secours devait être ouverte !...
Elle
sortit immédiatement de l’algeco et descendit rejoindre Peter. Elle lui lança
:
— J’ai
une urgence, je dois partir tout de suite, tu pourras rentrer avec les
autres ?
— Rien de grave j’espère ? répondit Peter
— Non, non, t’inquiète pas…
— Pas de problème, je rentrerai avec Antonio. Ils partent
vers 20h…
— Super, peut-être à demain si on ne se revoit pas ce
soir !
Puis Cristina remit son casque de sécurité pour rejoindre
au pas de course la sortie du laboratoire.
Elle arriva au niveau du parking du Centre vers 19h50, il
faisait déjà nuit. Elle se précipita aussitôt au sous-sol du bâtiment en
prenant l’escalier. En passant devant le bureau de Pascali, Cristina vérifia
que les scellés qui avaient été posés le matin même étaient toujours bien en
place, puis se dirigea rapidement vers le fond du couloir. Le bureau des
stagiaires était vide. La salle de mesure de spectrométrie était allumée ;
elle y jeta un œil et ne vit rien d’autre que des châteaux de briques de plomb
qui abritaient les précieux détecteurs au germanium qui comptaient probablement
des échantillons pour toute la nuit. Il n’y avait a priori aucun raison pour
que l’éclairage soit maintenu dans cette pièce, mais elle n’éteignit pas, en
pensant qu’il y avait peut-être une bonne raison après tout.
Elle arriva enfin au niveau de la porte de secours qui se
trouvait dans une sorte de renfoncement au bout du couloir et qui n’était ainsi
pas située dans son prolongement. C’était exactement ce qu’elle avait
compris : la porte était entrouverte, une petite brique de plomb bloquait
sa fermeture au niveau du sol. Ce n’était certainement pas quelqu’un du Centre
qui était venu ce matin… Quelqu’un de l’extérieur pouvait entrer comme il le
voulait dans le bâtiment par cette porte…
Cristina appela Hooper.
— Tom, je viens de découvrir une chose importante, je
crois. La porte de secours du sous-sol du Centre est maintenue ouverte
volontairement par une brique de plomb. N’importe qui peut entrer ! C’est
certainement quelqu’un de l’extérieur qui est venu ce matin !..
— C’est une porte à barre anti-panique ?
— Oui, c’est ça, et une demi-brique est mise en bas. De
l’extérieur, il suffit juste de tirer la porte pour entrer… Je ne comprends pas
comment le gardien de nuit n’a pas vu ça.
— N’y touche surtout pas ! Je viens tout de suite,
il faut relever les empreintes. Et il est probable que l’individu essaye de
venir à nouveau… C’est une occasion en or pour nous !
— Pour le piéger ? s’exclama Cristina
— Bien sûr… As-tu vu si les scellés sur le bureau sont
toujours bien là ?
— Oui, en passant devant j’ai regardé, tout est en ordre.
— Bon, je vais te demander de bien vouloir rester là où
tu es, le temps que j’arrive. Si jamais tu vois quelqu’un qui s’approche pour
entrer, préviens-moi immédiatement juste en appelant mon numéro, sans parler. Et
surtout si ça arrive, essaye de voir le visage de l’individu. Ne te montre surtout
pas, sois extrêmement discrète. Ça ira ? Tu te sens capable d’affronter
cette situation si elle se présente ?
— Oui, je peux le faire. Je vais me cacher dans le bureau
des stagiaires, de là je pourrais voir si quelqu’un entre dans le couloir.
— Très bien, je te rappelle dès que nous sommes arrivés
au Centre, mets-toi en vibreur.
Aussitôt après avoir raccroché, Cristina se dirigea vers
le bureau sombre des stagiaires qui se trouvait à mi-chemin entre le bureau de
Pascali et la salle de mesure de spectrométrie gamma. Elle prit le fauteuil de
la petite Chiara et s’installa dans le coin de la pièce de manière à avoir le
plus grand champ de vue à travers l’ouverture de la porte sur le couloir en
direction de la salle de mesure et du fond du couloir. L’éclairage de la salle
de mesure était le bienvenu, il produisait suffisamment de lumière dans tout le
couloir pour que Cristina puisse distinguer un visage si jamais quelqu’un
venait à passer dans le couloir.
Cristina afficha le numéro de Hooper sur son téléphone
après l’avoir mis en mode silencieux, prête à appuyer sur le petit téléphone
vert.
Les minutes s’égrenaient maintenant avec une lenteur peu
commune. Cristina restait figée comme le matin à quelques mètres de là. Elle
évitait de faire le moindre bruit, en restant à l’affût du moindre bruit
suspect. Elle sentait très nettement les battements de son cœur dans sa
poitrine. Cela lui rappelait le stress qu’elle avait connu lorsqu’elle avait
soutenu sa thèse de doctorat quelques années plus tôt. L’adrénaline augmentait
le rythme cardiaque et donnait le souffle court, mais elle donnait également
des ailes.
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